La Couleur mal-aimée

À l’ombre de mes premiers souvenirs c’est contre la couleur rose que j’ai toujours lutté. Ancrée dans mon inexorable rébellion, je n’acceptais cet usurpateur du rouge qu’à contrecœur, sur des courts instants, et m’en débarrassais aussitôt d’un geste proche du dégout.

 Ma répulsion pour le rose était totale et englobait non seulement tous les objets associés à cette couleur mais aussi le « mot », car en effet, je n’aimais pas les roses, et parce que les roses sont des fleurs j’ai de prime abord préféré les jardins verts aux décors fleuris.

Sans aucune initiation à la couleur cela ne soulevai en moi aucun problème majeur, et j’ai, sans peine, effacé cette importune de ma palette dès que le pouvoir de décision m’a été, par négligence, accordé.

 

Hormis en cas de chromophobie, nous avons tous notre couleur préférée. À l’unisson de nos émotions nous l’avons choisi, en teinte ou en nuance, après le blanc. Elle nous détermine et adhère à l’état où nous sommes au moment de ce choix.

Bien au-delà de sa symbolique, plausiblement emplie de caractères opposés à notre personnalité, elle nous correspondra, car à défaut de l’avoir choisi par similitude nous l’aurons fait par nécessité, et de ce fait elle nous sera pour sûr favorable et bienveillante.

 Paradoxalement, Il y va de même pour la couleur détestée. La perception visuelle d’une couleur mal-aimée n’est pas uniquement subjective et répond à notre insu à des scénarios et des injonctions du passé.

Comme la nostalgie d’un parfum qui évoque l’enfance, notre rejet pour une couleur est lié à des évènements vécus et, fatalement, aux sentiments négatifs qu’elle nous renvoie.

 Ainsi lorsque nous faisons le choix, aussi simple, d’une couleur nous ne mesurons pas à quel point notre inconscient est aux commandes et peut parfois nous induire à la répétition d’une émotion ancienne jamais entendue.

 Et puisquel’on devient progressivement les sentiments que l’on incarne, la couleur désestimée s’insinuera dans nos choix de façon implicite, dissimulée dans une demi-teinte, en touche, rarement omniprésente, parfois intrusive mais jamais en désaccord.

  Nichée dans notre cerveau, indélébile et chargée d’émotions, elle ne peut que refaire surface, et deviendra, si l’on consent à l’entendre, la couleur conciliante.

 

ea1e8853-0076-46fb-bb99-0b692fe43c90.jpg
Le bleu est, pour ainsi dire, la couleur universelle. Aimée par une large majorité d’entre nous, elle a, en effet, très peu de connotations négatives. Associée à la mer, le ciel, à l’horizon et tournée vers l’avenir, elle inspire confiance, sagesse, calme et liberté.
IMG_1615.jpg
Porteuse de l’amour affectif et du bonheur, couleur de la douceur et de fragilité apaisante, le rose évoque aussi la carnation, la chair, la peau et la séduction. C’est la couleur de l’hésitation.
IMG_1611.jpg
Couleur du coeur et du sang, puissante et vitale, mais aussi couleur de la déception, du danger et de la colère. Comme l’encre rouge du correcteur elle exprime la désapprobation. 
IMG_1612.jpg
Pourtant liée à la terre et à l’attrait d’une vie simple et proche de la nature, le marron comme le orange sont les couleurs les moins bien aimées. Associées toutes deux aux feuilles mortes , elles symbolisent l’ennui, a morosité et la dépression.

Du bleu à l’âme

En été je guette les couchés de soleil. J’aime cet instant où la nature devient funambule et le ciel, en acrobate habile, se fait danseur de couleurs. Avide, je l’observe esquisser un dégradé flouté de couleurs chaudes qui se détirent avec force, puis cèdent jusqu’à s’allonger sur le froid de la mer. Et je traque, sans répit, comme l’héroïne du roman*, cette couleur frontière du rayon vert.

 Du latin color, « teint du visage », au figuré, « aspect extérieur », et rattaché au groupe celare qui littéralement signifie « celer et cacher », la couleur, dans l’idée, recouvre une surface mais aussi, de par son étymologie, masque et dissimule une réalité.

 Aussi, la notion de couleur en Occident est totalement abstraite car elle est considérée indépendamment de toute surface colorée. Petits, nous apprenons le mot « vert » mais sans référent physique le concept nous échappe. Dans cette période d’apprentissage si nous entendons des phrases comme « la pomme est verte » ou « l’arbre est vert » nous devons trouver le point commun entre ces deux choses pour comprendre ce que veut dire » vert », et nous ne percevrons les nuances du vert que beaucoup plus tard.

 Au Japon, l’idée abstraite d’une couleur qui ne correspond à rien en particulier n’existe pas, et par conséquent il n’y a pas de « mots » pour nommer les couleurs mais des expressions concrètes. De ce fait, les japonais appellent le noir « couleur d’encre », le bleu « couleur de ciel » , le jaune « couleur d’œuf », et ainsi de suite, soulignant dès lors le lien inhérent entre couleur, nature et sentiment.

 Au-delà de la sagesse nippone, nous ne sommes pas totalement démunis car nous possédons dans notre langue des expressions idiomatiques qui déploient des couleurs pour abriter une sensation particulière. Souvent sous forme de métaphore, elles expriment les sentiments de façon imagée et nous guident dans une figure de style vers la symbolique de chaque couleur.

 Alors, si à certains moments votre vie n’est pas rose, pensez pendant vos nuits blanches à vous mettre au vert, faites travailler votre matière grise et saisissez le lien entre le mot et la couleur, vous y trouverez le sentiment.

C’’est écrit noir sur blanc.

  * « Le rayon vert » de Jules Verne.

 

IMG_1352.jpg
L’arbre ou la pomme?
IMG_0950.jpg
En quête du rayon vert.

 

En cours de couleur

D’’esprit contrariant, dans un état constant de colère et prédisposée à l’indolence, je pataugeais à mon insu dans un cercle chromatique dont la palette réfutait toute émotion. Aussi mes premiers pas dans la couleur m’ont été imposés, presque forcés, mais une fois la porte ouverte j’ai rapidement découvert ce lien étroit entre couleur et sentiments.

 Les trois couleurs primaires sont le magenta, le cyan et le jaune. Il s’agit de pigments purs que l’on ne peut pas reproduire par mélange.

Le cercle chromatique comporte des couleurs chaudes et froides. Les chaudes   tendent vers le jaune et les froides vers le bleu. Les premières sont orientées vers le monde extérieur et les deuxièmes vers un repli sur soi. Les unes s’exposent, les autres reculent et se protègent.

 Cette corrélation est liée à la personnalité de chacun, mais d’ores et déjà, accordons-nous des nuances, car la palette du peintre est infinie et nos personnes ciselées par autant de traits de caractère qu’il existe de nombre de demi- teintes.

 Ainsi, un vert avec un apport de bleu est un vert froid, alors que dosé avec une certaine quantité de jaune ou de rouge, il s’abrite et devient chaud. Il y va de même pour le gris, le violet et les bruns que j’aime appeler des couleurs bipolaires.

En revanche un rouge, un orange ou un jaune demeurent des couleurs chaudes, et le bleu sera toujours froid, car l’intervention d’une autre couleur transformera leur teinte en vert, gris, brun ou violet.

 La teinte étant la couleur prédominante d’une nuance, un gris, selon sa teneur en bleu ou en jaune, prendra le dessus, ou pas, sur la deuxième couleur, mais il sera animé par les vibrations de son alliée et deviendra ainsi une demi-teinte avec une toute autre symbolique.

 Chaud, froid ou tempéré, la perception de la couleur est totalement dépendante de l’observateur.

 Puisque « la terre est bleue comme une orange ». *

 

* « L’Amour la Poésie » de Paul Éluard

IMG_1423.JPG
teinte grise ou demi-teinte…
IMG_1424.JPG
vert chaud ou vert froid…
IMG_1429.JPG
gris bipolaire…

Faire ses gammes

Du jaune au rouge, enracinée dans du brun et déambulant dans du gris, j’en ai vu et passé par toutes les couleurs. Certaines m’ont assombri d’autres épanoui, chacune d’entre elles répondaient à un état de vie.

 Le choix de la deuxième couleur n’est donc pas arbitraire. Il est lié à un besoin inconscient et en adéquation avec la personne que nous sommes, celle que nous avons été, ou celle que nous voudrions devenir.

 En langage musical la plus petite distance qui sépare deux notes est le demi-ton, et la gamme chromatique est composée de douze notes séparées à chaque fois d’un demi-ton. Singulière affinité avec les douze couleurs du cercle chromatique qui se succèdent dans l’ordre de l’arc-en-ciel.

 L’association de deux couleurs est ainsi semblable à l’enchainement de deux notes de musique, et dans les deux cas, de leur accord résulte une harmonie. Peu importe qu’elle soit plate, improbable, ou soutenue, pourvu qu’elle ne sonne pas faux.

 Et quand bien même, le choix d’une couleur s’exprime par goût, ou par faute, et répond avant tout à une envie.

 Soyez attentif, écoutez cette envie, elle est souvent à l’origine d’une nécessité.

 

IMG_1395 (1).jpg
Composer
IMG_1408.jpg
Projeter
IMG_1401 (1).jpg
Chercher
IMG_1388 (1).jpg
Recréer
IMG_1404 (1).jpg
Assembler
IMG_1402 (1).jpg
Dessiner

Le blanc est la couleur

Aujourd’hui le ciel est indécis. Sombre journée pour parler des couleurs qui s’opposent par définition à la grisaille, mais instant sans pareil pour parler du blanc. Ce choix de la non couleur, qui de mon point de vue en est une, est un incontournable sujet.

 Couleur première que nous adoptons d’emblée pour habiller nos murs, le blanc est contradictoire. Considérée comme une couleur froide, elle contient l’ensemble des couleurs du spectre lumineux alors que notre œil la perçoit comme une absence de couleur. Neutre et alter ego de toutes les autres teintes, elle les tolère sans peine et avec égard.

Mais qui dit neutre dit passif.

Le blanc suggère la perfection, Il est résolument lié à la lumière, et pourtant, miser sur la seule présence du blanc est un pari osé. Le blanc, isolé, est dur, sévère, son éclat peut se rendre aveuglant et provoquer un état émotionnel inconfortable.

 

Le blanc est aussi et surtout le moment du vide, d’un début, il est le support et le complice des autres couleurs. Dosez-le avec parcimonie, il est la page blanche sur laquelle tout un univers peut s’écrire.   

IMG_1239 2.JPG
Le blanc a besoin de compagnie
IMG_1170 2.JPG
Le blanc fait des siennes
IMG_1365.jpg
Un reflet pour nous rassurer

Késako

Je ne peux ouvrir un Blog sur la couleur sans citer le pays du soleil levant, berceau et source d’inspiration de mon écrivain préféré que je lis en boucle et en rouge. Le Japon, découvert grâce à une rencontre unique qui a discerné en moi une aptitude insoupçonnée de la perception des couleurs et de la matière, ma capacité, inconsciente, à les associer sans laquelle je ne serai pas la personne que je suis aujourd’hui.

Aussi, je vous parlerai en images et en couleur, tel qu’elle me l’apprit, pour lui rendre un peu du grand qu’elle m’a donné.

 

La couleur est partout où notre regard se pose, elle peut être générée par un objet, une forme, un aplat, une musique, par des mots, des phrases, un récit est vide s’il n’est pas habité par une couleur. Elle a sans aucun doute une incidence sur nous, positive ou négative selon nos choix. Son importance est vitale et sous-estimée, n’est-ce pas l’adjectif premier pour décrire ? et pour décrire ne dit-on pas dépeindre ?

Je vous propose de la partager dans tous ses contours, débutant par celles dont nous nous entourons.

Dans Couleur maisons je vous invite chez moi, puis aussi chez ceux qui m’invitent et puis j’espère chez vous…

IMG_1220.jpg